Maridza Kim Sarah, artiste multidisciplinaire, s’exprimant aussi bien à travers le dessin, la peinture, les peintures murales, le collage et bien d’autres techniques a réalisé cette année une murale d’envergure dans le cadre du projet Colorons la rue Hochelaga. Nous lui avons posé quelques questions sur son parcours, son style, ses supports et bien encore !
Qu’est-ce qui t’a amené à l’art mural ?
Tout a commencé avec ma mère qui voulait me donner l’opportunité de m’exprimer librement : à mes 12-13 ans, elle m’a offert de l’aquarelle pour peindre sur les murs de ma chambre. Au départ, elle pensait que j’allais faire un petit dessin, mais j’ai finalement peint un tank géant sur mon mur, ressemblant à une BD à laquelle je m’identifiais beaucoup à l’époque! Heureusement que c’était de l’aquarelle parce qu’un jour il a fallu quitter le logement, tout enlever et repeindre!
J’ai ainsi appris qu’une murale c’est de l’art éphémère. Qu’elle soit extérieure ou intérieure, elle a une durée de vie limitée : quelqu’un peut dessiner par-dessus, le temps et les intempéries peuvent l’effriter et il faudra peut-être la repeindre. Ça m’a appris les limites de cet art et d’accepter de voir l’œuvre se transformer avec le temps.
Une fois adulte, j’ai continué à faire beaucoup de dessin et de peinture, et j’ai ressenti le besoin d’explorer d’autres avenues. C’est à partir de ce moment que j’ai vraiment commencé à peindre sur les murs dans tous mes logements. À l’université je peignais tout en très grand format, des toiles ou des dessins à hauteur de mur. Ces grands formats me faisaient plaisir, car c’était très physique. Mes sujets à l’université étant très reliés au corps, les peindre en très grand format collait parfaitement avec l’idée de ce travail physique.
Pour le projet de murale que j’ai réalisé cette année dans Mercier-Est (46 m2), j’ai trouvé très intéressant d’habiter l’espace. Pour ma part, il y avait beaucoup plus de concept sous-jacent et pas uniquement des images simplifiées qui représentent les gens du quartier, c’est une sorte d’« échantillon » qui ressemble à Montréal dans son ensemble.
Murale dans Mercier-Est, 2020, Maridza Kim Sarah
Quand on regarde les portraits que tu fais, on retrouve un style bien particulier. Pourrais-tu décrire ton style de portrait ?
Tous les artistes d’une certaine époque avant qu’il y ait la photo faisaient des portraits, ça fait partie de ce qu’on apprend à l’Académie des beaux-arts. Je trouve cela difficile de parler de mon style, car je fais beaucoup de choses.
Mais il y a beaucoup de Bandes Dessinées dans ce que je fais. J’en ai beaucoup lu et j’ai étudié en cinéma d’animation ce qui a certainement orienté mon travail dans ce sens. Dans la murale que j’ai réalisé cette année dans Mercier-Est, j’ai utilisé des lignes simplifiées, très style BD. C’était plus simple et plus rapide pour moi, car j’ai répété ces lignes si souvent!
Quel médium et quels outils préfères-tu utiliser en tant qu’artiste visuelle et pourquoi ?
Je touche à tout : de l’encre, de l’huile, du papier, j’utilise tout médium confondu. Ça me fait beaucoup de matériel à ranger dans mon studio!
J’utilise l’aquarelle pour mes esquisses, pour des dessins rapides. C’est davantage une manière de dessiner que de peindre véritablement. Ça me permet de traduire les deux. Cependant, j’ai véritablement commencé à peindre avec de l’huile! Pour résumer je suis très pinceau, dessin, et même sculpture… Par exemple dans ma dernière série j’ai utilisé des jouets abandonnés d’enfants pour en sculpter de nouveaux monstres!
Un de mes sujets préférés c’est le dessin obsessif : j’utilise peu de matériel, juste un crayon à mine et je répète de nombreuses fois le même geste. J’ai un dessin de très grand format, qui représente un schéma des possibilités en arborescence : c’est une identification du multivers. Pour cela j’ai dessiné sur une surface de 2m2 environ, recouverte au centimètre près de points et de lignes, en tout petit. C’est obsessif. Je réalise cela sur une table à dessin ou je peux passer plus de huit heures par jour, une telle réalisation peut me prendre 1 à 2 mois. Par exemple, j’adore aussi dessiner les cheveux.
Le nid : 22 »x28 », Graphite sur Arches, 2015, Maridza Kim Sarah
Pour les murales tu fais du portrait, des dessins style BD, des concepts un peu abstraits, est ce que tu fais aussi des paysages ? Qu’est-ce que tu préfères représenter ?
En plus des portraits qu’on voit sur la rue Hochelaga dans Mercier-Est, je fais une majorité de paysages pour les murales intérieures! C’est ce que les personnes aiment et veulent chez elles le plus souvent. Les paysages ne sont pas mon sujet préféré, mais j’adore les défis! Je pense que les personnes qui me commandent des murales aiment ma flexibilité et ma capacité à m’adapter. Ma façon d’aborder un sujet en l’interprétant tout en y ajoutant une touche de magie, intéresse les gens et c’est ce que j’aime faire. Par exemple si on m’impose des limites de couleurs, j’aime trouver des solutions tout en respectant les contraintes!
Pour les murales intérieures, je dois travailler avec de l’acrylique pour que ça adhère bien. Comme j’ai une facilité à peindre avec l’acrylique et à imiter le rendu de l’aquarelle, ça plaît beaucoup et c’est souvent pour cela qu’on m’appelle.
D’un point de vue plus personnel, je préfère l’art conceptuel à la représentation comme on peut le voir dans les murales qui me sont demandées. J’aime quand c’est à la fois décoratif et déconstruit. J’aime assez peu rester dans un cadre rectangulaire. Par contre chez moi, j’aime bien accrocher des cadres vides. À chaque fois que je vois un cadre vide, j’ai envie de le remplir. Ça me rend plus créative que s’il y avait une image à l’intérieur. Dans mon esprit, ces cadres vides changent constamment, j’imagine, toujours une nouvelle image! Je préfère cela à afficher quelque chose que j’ai déjà fait, que je vais continuer à critiquer et à corriger jusqu’à ce que je l’aime beaucoup moins.
Que vous évoque ce cadre vide? Quels conseils donner à un apprenti qui commence à dessiner des portraits ?
Il est difficile de donner un conseil sans savoir d’où la personne part. Néanmoins pour moi, le plus important dans un portrait c’est de comprendre que c’est une certaine personne, et non que la personne dessinée ressemble parfaitement à ce qu’on essaye de représenter.
Par exemple il y a un portrait de moi que j’aime le plus, et mon visage n’y apparaît pas, mais ce sont mes pieds sur le bord de la mer! Ça me représente, ce sont les gestes que je pose souvent lorsque je voyage, je prends des photos de mes pieds. Donc, faire un portrait de mes pieds sur un paysage est plus représentatif de moi que faire un portrait de mon visage.
Un autre exemple : pour représenter le portrait d’un coach de soccer, représenter son sifflet peut être suffisant!
Je conclurai que pour moi, l’essentiel dans un portrait c’est être capable de capturer quelque chose d’intime d’une personne, l’essence de ce qu’elle représente, sa personnalité ou ses traits particuliers. Ce n’est donc pas obligatoirement un visage, ni même un visage parfait!
Billie Holiday: 16 »x 20 », Coulis sur toile brute, 2014
Maridza Kim Sarah